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Après le cyclone Maria de 2017, la Guadeloupe réinvestit les marchés métropolitains avec un joker la « banane française équitable »

Francis Lignières, Président groupement LPG

En deux jours les 18 et 19 septembre 2017, 70% des bananes martiniquaises et 100% des guadeloupéennes ont été détruites.Cette dernière disparaît du marché français et européen. La filière va alors se mobiliser pour sauver son patrimoine, repenser ses modes de production,faire des choix culturels très stricts, pour rebondir..autrement.Un travail qui commence à porter ses fruits dans une île qui revient de loin..

« On s’est trouvé au lendemain du passage de Maria sans un régime de bananes ni un arbre debout, aucun des 180 planteurs n’a été épargné par la catastrophe. Et en plus 37,6 millions d’euros de pertes de production » a expliqué Francis Lignières, président du groupement des producteurs de bananes de Guadeloupe (LPG) aux journalistes de l’AFJA venus sur place constater la situation sept mois après le passage du cyclone. La mobilisation des producteurs a été à la hauteur du défi. Soucieuses de changer leur image quelque peu dégradée notamment par des années de pollution au chlordécone un insecticide cancérogène et perturbateur endocrinien longtemps utilisé dans les bananeraies désormais interdit, petites exploitations vivrières et grandes plantations, vont adopter les nouvelles pratiques culturales raisonnées inspirées de l’agriculture de conservation appuyées par la recherche et accompagnées par les organisations professionnelles le tout s’inscrivant dans le deuxième plan banane durable (2016-2020).

 

 

Chaque producteur a dû faire des arbitrages pour sauver les plantations

Dans la station de conditionnement de l’exploitation Chamby Dambas située à Capesterre-Belle-eau les premières bananes vertes sont rangées dans des cartons prêts à être expédiés en  Métropole. Preuve que la production reprend doucement sur l’île. La bananeraie de 70 hectares alterne aujourd’hui des régimes entourés d’un film protecteur bleu en attente d’être récoltés et des parcelles laissées en jachère suite à l’arrachage des plans par le cyclone. Selon l’Union des producteurs, 60 % des pieds de bananiers guadeloupéens ont été arrachés et 40% couchés. Ces derniers ayant été coupés pour qu’un rejet puisse reprendre, sont en train de donner des bananes. En revanche là où les pieds ont été arrachés il faut attendre 12 à 14 mois pour replanter le temps de procéder à l’assainissement des sols. Selon les situations de chacun il a fallu faire des choix ..conserver sa plantation pour sauver ce qu’il y avait à sauver, tout arracher ou repartir à zéro.« Au-delà de 40% de taux d’arrachage sur une parcelle cela devient trop coûteux de relancer, il vaut mieux alors repartir sur une jachère » explique Jean-Pierre Perianin exploitant d’une vingtaine d’hectares de bananes à Capesterre-Belle-Eau qui recommence lui aussi à expédier ses bananes très en dessous tout de même du niveau d’avant cyclone : 250 tonnes devraient être produites cette année contre 650 à 700 tonnes l’an habituellement. Mais avec un produit nouveau « une banane  Propre » issue de pratiques raisonnées préconisées par les deux plans « Banane durable » successifs destinés à se démarquer notamment des bananes « dollars «  produites par les plus grandes multinationales américaines « les 4 Sœurs » qui dominent  80% du marché mondial de ce fruit le plus banalisé et le plus consommé au monde (marché évalué à 17 millions et demi de dollars annuels), très peu cher à produire, très rentable et qui vaut de l’or pour ces grandes entreprises dont le but est de capter les 500 millions de consommateurs européens grand consommateur de banane. Sans parler des productions africaines qui ont su  habilement occuper le créneau délaissé par les antillais sinistrés. En 2012 ces grands groupes ont été autorisés à entrer sur le Marché européen faisant de la banane française plus chère à produire et à conserver leur première victime. Une situation dangereuse  à court terme. En s’abattant sur les Antilles, l’ouragan à son insu va rabattre les cartes obligeant la filière à tout remettre en cause, à se réorganiser et à fédérer pour mieux se battre.

Changy Dambas : réorganisation complète de l’outil de production et des méthodes de travail

Les régimes de bananes arrivent de la plantation à la penderie électrique de l’usine de conditionnement où ils sont suspendus sur des rails pour être préparés aux autres étapes du tri.

Lavage des bananes qui seront séparés en bouquet, pesés et envoyés vers la palettisation automatique.

Ainsi l’exploitation Sea Changy Dambas dirigée par Tino Dambas qui suite au cyclone a perdu la totalité de sa production évaluée habituellement à 3000 tonnes de bananes a choisi à la fois de repenser ses méthodes de travail et son outil de production. Elle s’est dotée d’un système d’irrigation sous fondaison pilotable à distance facilitant le travail du responsable d’irrigation, adopté le système de jachère sur 12 à 18 mois pour assainir ses sols, et  supprimé les insecticides et nématicides. Pendant la jachère des plantes de service sont installées après l’épandage de plus de 60 tonnes de matières organiques à l’hectare afin d’améliorer la fertilité du sol. La replantation en plants sains se fait ensuite pour une durée minimale de 5 ans. Des expériences suivies sur l’exploitation par le CIRAD et l’IT2 (Institut Technique Tropical ) qui sont destinées à évaluer la résistance des nouvelles variétés à la cercosporiose noire et également à la substitution des herbicides et hématicides par des méthodes naturelles. Anticipant sur l’évolution favorable du marché à venir de la banane équitable l’entreprise a modernisée son équipement industriel. Les 1700 m2 de hangars dont 480 m2 de penderie électrique dédié au stockage des régimes de bananes ont été réaménagés pour atteindre aujourd’hui une capacité de conditionnement de plus de 5 000 tonnes /an. Une mûrisserie pour la banane destinée au marché local y est intégrée. Par ailleurs la circulation des ouvriers et des machines pendant les récoltes de fruits et l’entretien des plantations a été améliorée pour faciliter leur travail. Une réorganisation qui s’inscrit dans la ligne adoptée par  la filière qui a encouragée l’utilisation de pallettiseurs automatiques dans les mûrisseries du réseau Fruidor Banane facilitant par là même les conditions de travail des opérateurs.

Des formations aux meilleures pratiques agricoles pour les producteurs de banane

Dominique Martinez, Directeur général du CIRAD Antilles Guyane et son équipe .

Pour accompagner ces pratiques nouvelles, des formations aux meilleures pratiques agricoles ont dû être dispensées aux producteurs en collaboration avec l’IT2, l’INRA et le CIRAD ce dernier  accompagnant depuis quatre décennies la profession bananière aux Antilles dans son objectif agro-écologique «  zéro pesticide ». La filière a financé ces 5 dernières années avec l’organisme paritaire Fafsea 500 000 heures de formation professionnelle destinées à développer les compétences de producteurs et des salariés. Elle a aussi bénéficié d’aides au chômage technique et au financement de formations pour les salariés pendant les six derniers mois. Ainsi Claude Behary qui emploie deux salariés sur sa bananeraie de 2,6 hectares à Capesterre-Belle-Eau a pu garder ses employés in situ deux jours par semaine depuis l’ouragan.Le reste du temps étant consacré à la formation.Une aide bienvenue qui lui a permis de poursuivre la démarche qualité (sa production est labellisée à 70 %) engagée en 1980 en combinant dans une approche globale et intégrée plusieurs pratiques culturales, protection du paysage,démarche environnementale poussée, diversification des productions. Elle produit aujourd’hui 193 tonnes l’an de fruits avec des rendements de l’ordre de 49t/ha. Dans le même sens Luc Poumaroux producteur  à la Ferme Ageris reconnaît lui aussi l’utilité des actions de formation « les salariés sont revenus sur les exploitations avec des compétences accrues et des résultats en parcelles bien meilleurs » avoue-t-il. Dans ce sens, l’un des éléments majeur du plan Banane Française Equitable a été de prendre enfin en compte l’importance des petits agriculteurs qui représentent  au moins 80 % des exploitations agricoles caribéennes « Les épauler efficacement explique Harry Ozier Lafontaine Directeur de Recherche et Président du Centre Inra Antilles-Guyane est devenu un enjeu majeur pour le devenir du secteur si l’on considère que ces dernières longtemps marginalisées et délaissées au profit des grandes bananeraies ont su conserver l’agrodiversité si indispensable aujourd’hui, un jardin créole abritant souvent à lui seul entre 40 et 150 espèces ».

Ferme climato intelligente. INRA

Au total le Plan Banane s’est révélé encourageant : moitié moins de produits phytosanitaires utilisés, moins de pesticides pour conserver un territoire fragile mais riche en biodiversité, création de la banane Cirad 925 tolérante à la cercosporiose et obtenue par la sélection variétale et l’hybridation naturelle,qui de plus se prête bien à la culture BIO, généralisation de l’assainissement des sols de jachère, utilisation des pièges à charançons pour une lutte sans impact sur l’environnement,utilisation de couverts végétaux et de plantes de services, effeuillage sanitaire contre la maladie de la cercosporiose noire, amélioration de la production certifiée Banagap, retour progressif des prédations naturelles et de l’équilibre biologique. Des pratiques qui valorisent la production, l’obtention du label « banane propre » apportant une plus-vallue certaine à une filière qui par l’importance de ses terres agricoles, des emplois générés et de son volume d’activités est avec quelque 2000 personnes le premier employeur privé de Guadeloupe .

www.bananeguadeloupemartinique.com
http://antilles-guyane.cirad.fr
http://www.antilles.inra.fr

 

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