En 2024 le premier vignoble AOC de France a enregistré sa plus faible récolte depuis 1991 soit 3,3 millions d’hectolitres produits en diminution de 14 % sur 2023. Une situation aux causes multiples, tensions géopolitiques, crise sanitaire, repli sur les principaux marchés, accidents climatiques récurrents, inflation, arrachage de vignes pour ajuster la production à la chute de la demande ont amené la filière à s’interroger sur les moyens de faire rebondir un secteur qui n’a pas su anticiper à temps les changements des goûts et comportements du consommateur. Une partie des viticulteurs ont décidé d’agir en concevant des produits nouveaux, en amorçant de nouvelles méthodes de travail et en pariant sur la biodiversité pour s’en sortir. Un forum organisé récemment à Bordeaux par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a montré que les lignes bougent, que les idées ne manquent pas, que le renouveau bordelais est en marche même s’il faudra patienter un peu pour mesurer les retombées réelles de ces actions multiformes.
Faire de la diversité des cépages une opportunité
Au cours de ce forum plusieurs axes innovants ont été développés. Tout d’abord faire de la diversité des cépages une opportunité. Avec 100 000 hectares de vignes et 2 000 ans d’histoire le vignoble bordelais compte une diversité de produits différents selon les vignerons, les terroirs et les cépages, 9000 châteaux et autant de propositions différentes. Bio, cépages atypiques, mono cépages, vins de garde, rouges à mettre au frigo, élevés en amphore, crus classés, crus artisans.. les vins rouges de Bordeaux (81 % de la production) par exemple affichent aujourd’hui mille visages explique le CIVB dans un guide sur la région. La majorité des propriétés a aujourd’hui au moins une cuvée innovante (sans soufre, amphore, mono cépage, vinification intégrale. .). Des gammes variées répondent sur une même exploitation aux nouvelles attentes des consommateurs. Dans toutes les appellations un travail de fond a été initié par les vignerons et négociants à la vigne et au chai. Particulièrement la pratique de l’assemblage qui fait partie de l’ADN de Bordeaux favorisant la diversité des vins de la région. Repenser la vigne autrement a permis de recréer des équilibres positifs au vignoble (agroforesterie, pratiques en faveur de la biodiversité), récoltes décidées au jour le jour, vendanges non égrappées, généralisation du tri de la vendange, modifications des pratiques agronomiques pour s’adapter au changement climatique en jouant sur la date de la taille, la hauteur des troncs, l’effeuillage, l’enherbement, la date des vendanges.. Auxquelles se sont ajoutées une vinification intégrale, par parcelle, sans soufre, tri optique grain par grain, macération à froid, mono cépages par gravité permettant de faire circuler le vin en douceur ..).L’élevage traditionnel a adopté des pratiques plus innovantes tout en réintégrant des pratiques ancestrales qui avaient fait leur preuves : foudres, demi-muids, amphores œufs béton.. « diversifier les cépages peut aider à anticiper l’avenir en favorisant les vignes qui vieillissent plus lentement ou encore en travaillant les assemblages pour pouvoir compenser les aléas d’une année sur l’autre » a expliqué Olivier Yobrégat agronome à l’Institut français de la vigne et du vin. Le choix du cépage c’est clair est devenu un levier majeur pour retarder la maturité et s’adapter au réchauffement climatique.
Mieux prendre en compte la biodiversité des sols

Crédit Photo : Château Haut-Bages Libéral
Autre constat : produits phytosanitaires en culture conventionnelle, cuivre en biologique, travail trop intense des sols appauvrissent beaucoup le terrain, des pratiques qui ont un effet direct sur les populations des sous-sols » explique Brice Giffard enseignant-chercheur à Bordeaux Sciences Agro. Un problème qui ne concerne pas seulement le vignoble comme l’a montré récemment l’Observatoire européen des sols, institut relevant de la Commission européenne. Selon ce dernier 61 % des sols européens seraient en mauvaise santé. Sauver ce milieu vivant et dynamique est devenu partout une priorité absolue, en repensant autrement les pratiques culturales. Dans le bordelais des actions concrètes ont été menées pour investiguer par exemple les zones herbeuses propices à l’installation des espèces auxiliaires qui s’attaquent aux rongeurs. Ainsi les larves de la chrysope verte qui pond sur les vignes vont manger les populations d’acariens, de pucerons ou de psylles a expliqué Coralie Petiqueux chargée de mission biodiversité chez Vitinnov. Le rôle de l’enherbement est essentiel : plus il est dense plus les chauve-souris s’installent. Leur présence permet de limiter les pesticides. Dans le même sens la Ligue de Protection des oiseaux (LPO) a oeuvrée de son côté pour que les vignes soient plus accueillantes aux chiroptères.» Il faut partout favoriser les paysages variés, les haies, ménager des points d’eau, des corridors écologiques arborés et limiter la pollution lumineuse » a résumé Caroline Petiqueux. Enfin à l’échelle collective la filière a opéré un 3ème bilan carbone en 2019 pour agir sur l’ensemble des émissions : sur le verre et les conditionnements, sur la consommation de fioul, sur le fret et les économies d’énergie. Avec un objectif à 2030 : baisser de 54% par rapport à 2007 les émissions de la filière des vins de Bordeaux. Un travail complexe où l’engagement personnel du viticulteur joue un rôle moteur « développer une agroécologie efficace est un véritable parcours du combattant.. j’ai travaillé pendant dix ans pour arriver à à une efficacité dans ce domaine a témoigné Claire Villars-Lurton, propriétaire du Château Ferrière et de Haut-Bages Libéral. J’ai fait des erreurs que j’ai dû corriger, des tests, des petits rendements. Je n’ai eu aucune aide.»